E. Fournier-Charrière
Unité Douleur, Département de pédiatrie, CHU de Bicêtre, 78, av du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre

Le tramadol est commercialisé depuis septembre 2004 pour l’enfant à partir de l’âge de trois ans sous forme de gouttes buvables (Contramal® gouttes et Topalgic gouttes®). L’indication du tramadol est la prise en charge de la douleur modérée à sévère. Le tramadol est autorisé chez l’enfant âgé de plus de un an dans de nombreux pays. En France, il est disponible depuis 7 ans pour l’adulte et en Europe depuis 27 ans. Des millions de patients adultes ont déjà été traités par cet antalgique. De très nombreuses études ont évalué la place du tramadol dans différentes situations chez l’adulte, en particulier dans les douleurs chroniques rhumatologiques et les douleurs neuropathiques. 

è Mécanisme d’action
è Pharmacocinétique et métabolisme
è Posologie
è Etudes d’efficacité
è Indications
è Effets indésirables
è Surdosage
è Contre-indications
è Présentations
è Références

Mécanisme d’action


Le tramadol a deux modes d’action : une action opioïde et une action mono-aminergique. Il est un agoniste des récepteurs µ avec une affinité faible, dix fois moins importante que celle de la codéine, soixante fois moins importante que celle du dextropropoxyphène et six cent fois moins importante que celle de la morphine. Pourtant le rapport d’équi-analgésie à la morphine est de 1/10 par voie intraveineuse et 1/6 par voie orale.
En effet par ailleurs, le tramadol inhibe la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, et il augmente la libération présynaptique de la sérotonine au niveau des voies inhibitrices descendantes de la douleur. Cet effet du tramadol module la réponse à un stimulus ascendant nociceptif douloureux en renforçant l’action des voies inhibitrices descendantes de la douleur et diminue ainsi la perception douloureuse. Cette action est sans doute responsable de la plus grande partie de l’effet antalgique et dans certains pays le tramadol n’est pas classé parmi les opioïdes.

Pharmacocinétique et métabolisme


L’absorption orale du tramadol est excellente. Sa biodisponibilité est de 70 % après la première prise et atteint plus de 90 % après 36 heures de traitement. L’effet antalgique apparaît environ 25 à 30 minutes après la prise et la concentration maximale est observée à H2. Sa durée d’action est de 4 à 6 heures, et sa demi-vie d’élimination est de 5 à 7 heures. Comme les autres opiacés, le tramadol a un métabolisme hépatique qui utilise les voies des cytochromes (CYP4502D6), conduisant à la production de nombreux métabolites dont un seul est actif. L’élimination est rénale, principalement sous forme métabolisée.

Posologie


La posologie unitaire est de 1 à 2 mg/kg toutes les 6 heures, sans dépasser 8 mg/kg/24 heures et avec une posologie maximale de 400 mg/jour même si le poids de l’enfant est supérieur à 50 kg. Une goutte de solution de tramadol contient 2,5 mg de principe actif. En cas de douleur non aiguë, il est conseillé de commencer le traitement le soir à faible dose, afin de limiter les effets indésirables classiques tels que les nausées.

Etudes d’efficacité


De nombreuses études ont été conduites chez l’enfant en dose unique ou répétée (> 2000 patients) surtout en période périopératoire, le plus souvent par voie IV ou IM mais également par voie orale. Certaines études ont également utilisé le tramadol par voie épidurale ou rectale. De nombreuses études ont été conduites chez l’adulte, essentiellement dans le contexte postopératoire mais également dans les lombalgies chroniques, les douleurs ostéo-articulaires et musculo-squelettiques, et les neuropathies diabétiques ou post-herpétiques. L’efficacité est largement démontrée chez l’adulte, elle n’a donc plus besoin d’être démontrée chez l’enfant. Les études chez l’enfant ont permis de tester la tolérance et de fixer la posologie : voici quelques-unes de celles qui ont été conduites chez l’enfant avec le tramadol oral.

L’efficacité du tramadol oral a été évaluée en chirurgie dentaire. Soixante enfants âgés de 3 à 8 ans, nécessitant des extractions dentaires multiples (plus de 6) sous anesthésie générale, ont reçu une dose orale unique de tramadol à la posologie de 1,5 mg/kg ou un placebo en préopératoire [1]. L’évaluation de la douleur a été réalisée dans les 2 heures suivant l’acte chirurgical à l’aide de l’échelle de visages Oucher. Les scores de douleur ont été significativement plus bas dans le groupe tramadol. Un traitement de recours par du paracétamol a été nécessaire chez seulement 19 % des enfants ayant reçu du tramadol contre 83 % des enfants ayant reçu le placebo.

L’efficacité du tramadol a été comparée à celle du paracétamol après amygdalectomie [2]. Cinquante enfants, âgés de 2 à 9 ans, ont été randomisés dans deux groupes. Le groupe tramadol recevait une dose orale de 2,5 mg/kg/8 h pendant trois jours après l’administration d’un bolus intraveineux en peropératoire. Le groupe paracétamol recevait une administration rectale de 15 mg/kg /6 h après l’administration d’un bolus intraveineux en peropératoire. La douleur a été évaluée par une échelle CHEOPS en salle de surveillance post-interventionnelle puis par hétéro-évaluation à l’aide d’une échelle verbale simple à cinq niveaux. Le groupe tramadol a présenté des scores de douleur significativement plus faibles que le groupe paracétamol. Le groupe tramadol a moins souvent nécessité le recours à une analgésie supplémentaire par diclofénac (24 versus 60 % dans le groupe paracétamol, p < 0,05).
Ces deux études apportent peu de données utiles car le résultat était prévisible.

Une étude randomisée en double aveugle a évalué l’efficacité et la tolérance de deux posologies de tramadol oral (2 versus 1 mg/kg) [3]. Quatre-vingt-un enfants de 7 à 16 ans ont reçu l’une des deux posologies de tramadol en postopératoire en relais d’une PCA morphine. L’efficacité du traitement a été évaluée par l’échelle de visages et la nécessité d’un traitement de recours. L’administration de la dose la plus élevée de tramadol a permis une diminution significative des scores de douleur et du nombre de recours à un traitement supplémentaire. Les effets indésirables ont été comparables.
Plusieurs études ouvertes ont évalué l’efficacité et la tolérance du tramadol par voie orale chez l’enfant. Une étude a inclus 113 enfants de 6 à 16 ans, souffrant de pathologies douloureuses variées médicales ou postopératoires [4]. Les patients ont reçu du tramadol en doses répétées pendant 7 à 30 jours (moyenne 14 jours). La dose moyenne reçue par chaque enfant était relativement faible, de l’ordre de 3 mg/kg/jour. L’efficacité a été jugée comme excellente par 70 % des soignants et des parents.

L’efficacité du tramadol a donc été confirmée chez l’enfant. Malheureusement il n’y a pas d’études comparant l’efficacité et la tolérance du tramadol et de la codeine par voie orale.

Indications


Les indications actuelles du tramadol en pédiatrie sont le traitement d’une douleur non soulagée par un antalgique de palier 1 et ne nécessitant pas un antalgique de palier 3. Il est utile pour les douleurs aiguës et les douleurs chroniques. Il pourrait également avoir un intérêt préventif pour les actes douloureux ponctuels comme les pansements. Il a un intérêt potentiel pour les douleurs neuropathiques ou les douleurs mixtes (cancer, polyhandicap…). 

Effets indésirables


La fréquence des effets indésirables est variable. Les plus fréquents sont les nausées et les vomissements, qui ont été étudiés surtout durant la période postopératoire (3 à 40 % voire plus, ce qui est habituel en postopératoire, même en dehors de l’administration de morphinique) ; le taux de vomissements chez l’enfant après administration de tramadol en dehors du postopératoire n’est pas connu. Sensations vertigineuses, pseudo-ébriété et somnolence sont possibles. Chez l’adulte, ces effets indésirables sont aussi fréquents que ceux observés avec la codéine, et sont moins importants avec la forme retard.

Les autres effets des morphiniques sont rares en raison de la faible affinité pour les récepteurs µ. Le risque de constipation est faible, voire nul. Aucune dépression respiratoire n’est observée aux doses thérapeutiques. De rares cas de convulsion sont rapportés, surtout chez l’épileptique. Il n’existe pas d’effet euphorisant.

Enfin, le tramadol ne semble pas avoir de pouvoir toxicomanogène. Cela a été bien étudié chez l’adulte : les malades ne développent pas d’appétence ni de dépendance pour ce produit, le tramadol n’est pas recherché ni apprécié par les toxicomanes et lors de traitement au long cours, il ne survient pas de syndrome de sevrage à l’arrêt [5,6,7].

Surdosage


Les manifestations observées en cas de surdosage accidentel ou volontaire sont une sédation, une dépression respiratoire, des convulsions, voire un collapsus. La naloxone est efficace sur les effets indésirables de type morphinique. Les autres symptômes justifient un traitement symptomatique. Le flacon a un bouchon de sécurité, les gouttes tombent lentement une à une quand on le renverse et ont un goût de menthe prononcé, ce qui réduit le risque d’intoxication. 

Contre-indications


Les principales contre-indications du tramadol sont l’insuffisance rénale sévère, l’insuffisance hépatique sévère, l’hypersensibilité au tramadol et une épilepsie non contrôlée.

Certaines douleurs chroniques comme les céphalées, les migraines, les douleurs abdominales récurrentes, et les troubles somatoformes ne sont pas des indications d’antalgique de palier 2 et par conséquent ne sont pas des indications du tramadol.

L’administration de tramadol chez des enfants ayant des troubles neurologiques centraux évolutifs ou des troubles respiratoires évolutifs nécessite de prendre des précautions, comme pour un autre morphinique chez ces patients. En cas d’insuffisance rénale ou d’insuffisance hépatique, la posologie doit être adaptée (réduction et espacement des doses).

Présentations


Le tramadol est disponible sous quatre formes galéniques. La forme orale gouttes buvables est utilisable chez l’enfant à partir de trois ans, le comprimé à libération immédiate chez l’enfant de plus de quinze ans, le comprimé à libération prolongée chez l’enfant de plus de 12 ans, et le comprimé associé au paracétamol chez l’enfant de plus de 12 ans. Le tramadol peut être associé à tous les autres antalgiques à l’exclusion des morphiniques. Il peut être associé au paracétamol, aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, aux anesthésies locales ou loco-régionales, au protoxyde d’azote, et aux traitements de la douleur neuropathique, avec prudence néanmoins pour les traitements monoaminergiques (antidépresseurs tricycliques).
Le tramadol sera prochainement également autorisé par voie IV chez l’enfant.

En conclusion, le tramadol est un antalgique efficace sur un large éventail de douleurs. Son profil d’effets indésirables est bien connu, avec l’inconvénient (encore à évaluer précisément), de nausées ou vomissements. Il a des avantages par rapport à d’autres opioïdes : peu de constipation, peu de dépression respiratoire, et surtout un très faible risque d’abus ou de dépendance aux doses thérapeutiques, même au long cours. La posologie peut être adaptée à l’intensité de la douleur et aux effets indésirables.

Références


1. Roelofse JA, Payne KA. Oral tramadol: analgesic efficacy in children following multiple dental extractions. Eur J Anaesthesiol 1999 ; 16 : 441-7.
2. Pendeville PE, Von Montigny S, Dort JP, Veyckemans F. Double-blind randomized study of tramadol vs. paracetamol in analgesia after day-case tonsillectomy in children. Eur J Anaesthesiol 2000 ; 17 : 576-82.
3. Finkel JC, Rose JB, Schmitz ML, Birmingham PK, Ulma GA, Gunter JB et al. An evaluation of the efficacy and tolerability of oral tramadol hydrochloride tablets for the treatment of postsurgical pain in children. Anesth Analg 2002 ; 94 : 1469-73.
4. Rose JB, Finkel JC, Arquedas-Mohs A, Himelstein BP, Schreiner M, Medve RA. Oral tramadol for the treatment of pain of 7-30 days’ duration in children. Anesth Analg 2003 ; 96 : 78-81.
5. Cicero Tj, Adams EH,, Geller A, and al. A post marketing surveillance program to monitor UltramÒ (tramadol hydrochloride) abuse in the United States. Drug and Alcohol Dependance 1999, 57 : 7-22.
6. Preston KL, Jasinski DR, Testa M. Abuse and potential and pharmacological comparison of tramadol and morphine. Drug and Alcohol Dependance 1991, 27 : 7-17.
7. Durra S, Barth H, Gieertz H, Goroll D, Flohé L. Long term administration of the centrally acting analgesic tramadol did not induce dependance or tolerance. Document Grunenthal.